En Guinée, petit pays d'Afrique de l'Ouest, la quasi totalité des filles sont encore excisées de nos jours. La plupart le sont entre 5 et 15 ans. Pourtant, les choses commencent à bouger dans le pays. Reportage en Guinée forestière.
District de Niandou, un vendredi matin. Assises dans la forêt qui jouxte leur village, 24 fillettes écoutent les leçons de Madame Jeanne. Sous le regard d’une dizaines d’autres formatrices – appelées "Sema" – Madame Jeanne répète une dernière fois aux jeunes filles les comportements que la communauté attendra d’elles comme filles et comme femmes tout au long de leur vie.
"Vous devez respecter vos parents. C’est très important. Ecoutez bien ce qu’ils vous disent. Faites leur plaisir en balayant devant leur case. Et méfiez-vous des garçons, surtout le soir ! Vous comprenez ?"
Respecter la culture
D’une quinzaine de minutes, la leçon marque la fin d’un séjour d’une semaine en forêt pour ces petites filles. Une semaine au cours de laquelle elles auront appris les coutumes de leur communauté, les chants, les danses, les rites, les plats, le tissage, les conseils d’hygiène personnelle et d’attitudes à avoir dans le village.
Pratiqué depuis des temps immémoriaux en Guinée forestière, le rite de passage en forêt qui s’achève pour ces filles est pourtant d’un tout nouveau type : pour la première fois depuis des siècles, il se passe sans excision. Les jeunes filles ressortiront du bois intactes.
Initier les filles en forêt est une coutume ancestrale ici, explique Raphael Kourouma, assistant chef du projet de lutte contre l'excision de Plan International Guinée. Depuis des siècles, les filles sont amenées en forêt pour être formées et excisées. C’est un fondement essentiel de la culture. Nous avons donc décidé de conserver cette tradition initiatique, mais d’en enlever l’excision.
Une stratégie que Plan International Guinée est la seule à mettre en œuvre dans le pays. Et avec un succès certain. Plus de 1.000 filles ont déjà participé à ces rites alternatifs dans la zone d’action du projet.
"Ces rites permettent de valoriser la culture des communautés tout en les faisant évoluer vers une meilleure protection des filles", poursuit Raphael Kourouma. "Cette approche est très appréciée des communautés car les valeurs culturelles locales restent enseignées. Les familles n’ont pas l’impression d’être attaquées dans ce qu’elles ont de plus cher".
"Je suis fière... et soulagée"
La leçon de Madame Jeanne terminée, les Semas vérifient une dernière fois si les jeunes filles maitrisent bien le maniement du wasamba, une castagnette à long manche utilisé lors des séances d’initiation en forêt, et leur remontrent la danse ancestrale, accompagnées du seul homme autorisé, le joueur de tam-tam.
Hélène Manou fait partie de ces Semas. Elle est particulièrement fière d’être présente aujourd’hui : sa fille Sagbe, 8 ans, fait partie des jeunes filles initiées selon le rite alternatif mis sur pied par Plan.
Je suis heureuse que ma fille participe à ce rite, et je suis surtout soulagée qu'elle n’ait pas été excisée. L’excision m’a fait souffrir toute ma vie. Trop de filles ont été victimes de complications dues à cette pratique.
« Quand j’ai dit à ma mère que j’allais faire participer Sagbé au rite alternatif, je craignais un peu sa réaction, mais elle a été très heureuse. Elle m’a dit qu’elle aussi avait énormément souffert de son excision. Elle ne me l’avait jamais dit avant… »
Accrochée à sa mère, Sagbé, radieuse dans son pagne multicolore, se dit aussi ravie de la semaine qu’elle a passée.
« Ce que j’ai préféré, c’est les chansons, les danses et les leçons de cuisine », nous dit-elle en souriant. « J’ai aussi adoré apprendre à faire des tresses ».
Et le fait de ne pas avoir été excisée ? « C’est grâce au camp que j’ai appris que cela existait avant. On n’en avait jamais parlé. Quand j’ai appris ça ici, ça m’a fait de la peine pour ma maman. Mais je suis contente qu’on ne me l’ait pas fait. »
19 districts ont abandonné l'excision
Madame Jeanne, la formatrice, est une ancienne exciseuse repentie, désormais active aux côtés de Plan International. Mais ici, l’exciseuse du village, c’était Philomène Ouendeno. A ce même endroit, c’est elle qui mutilait les filles du village jusqu’il y a peu.
Au début, ça m’a fait bizarre de ne plus couper les filles lors des initiations, dit-elle.
« Ce n’était pas facile car jusqu’alors, je recevais du riz et de l’huile pour mon travail. Mais je sais que la bonne décision a été prise. Les initiations en forêt étaient des moments violents. Certaines filles ne recevaient pas de nourriture, certaines étaient battues. Tout cela a changé, mais nous gardons l’essentiel des apprentissages culturels. »
Comme des dizaines d’autres en Guinée forestière, la communauté de Philomène a suivi tout un trajet de rejet de l’excision avec Plan International Guinée. A ce jour, 19 districts ont officiellement abandonné l’excision, signant des pactes de rejet et mettant en place des structures de surveillance et des rites alternatifs comme celui-ci. Des rites qui, autrefois, pouvaient durer jusqu’à trois mois.
Un choix loin d'être facile
La semaine en forêt se termine pour les filles. Toutes se mettent en rang avec les Semas et le joueur de tam-tam. Au son de la percussion, une procession ondule en chantant vers la sortie du bois. Toutes vont traverser le village en chantant et rejoindre les hommes pour célébrer cette initiation.
La traversée du village se fait lentement. Les femmes parées de leurs plus beaux atours tiennent à faire durer ce moment important. Chaque villageois croisé les salue. Enfin, la foule de femmes et de filles entre dans la salle de réunion du village, où attendent les hommes et le chef du district, Fara Papa Kourouma, flamboyant dans son boubou rose. Une grande cérémonie d’accueil et de félicitations les attend, avec musique et discours.
Nous engager contre l’excision ne fut pas facile. Au début, certains villages voisins nous causaient des ennuis, nous traitaient de bilakoro, d’impurs. Mais petit à petit, eux aussi ont rejoint cette cause. Ils voient bien que nous voulons le bien de nos filles et que nous ne renonçons pas à notre culture.
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